Je comprends. Vous préférez ne pas utiliser de gâteries pour entraîner votre chien, parce qu’il devrait apprendre les bonnes manières sans recevoir quelque chose en retour. Vous pensez que si vous lui donnez des friandises, vous atténuerez la valeur des récompenses bien plus importantes, comme votre approbation. Vous vous dites qu’il ne saura jamais discerner le bien du mal et que jamais il ne vous respectera. Vous pensez aussi qu’il deviendra dépendant des gâteries et que sans elles, il ne fera plus ce qu’il a appris.
Je comprends. Vraiment.
Mais je dois vous avouer quelque chose. Vous avez tort. D’abord, votre réflexion est inexacte, parce que vous projetez des concepts de psychologie morale applicables aux humains capables d’échanges sociaux sur votre chien, alors qu’il ne sera pourtant jamais considéré comme un membre à part entière de la société. Ensuite, malgré toutes vos bonnes intentions, vous avez tort sur le plan moral, car vous opterez inévitablement pour des méthodes d’entraînement ayant recours à la douleur et à la peur. La science et les organismes professionnels réputés se rallient tous derrière un fort consensus : la douleur et la peur causées délibérément sont néfastes et inhumaines et n’inculquent pas chez le chien une capacité de discernement moral. Tout ce qu’elles permettent d’accomplir, c’est de traumatiser un chien au point où il fera tout ce que vous voulez.
Peut-être fermez-vous les yeux devant tant de preuves et de bonnes raisons parce que vous n’êtes pas intéressé à connaître la perspective scientifique ou encore trouvez-vous émotionnellement insupportable de motiver votre chien avec des morceaux de poulet. Si c’est votre cas, alors je ne peux rien faire pour vous. Cette approche d’entraînement où vous traumatisez consciemment et délibérément votre chien, je ne la comprendrai jamais. Éventuellement, la loi fléchira sous le poids de la science et vous interdira d’étrangler, de frapper, d’électrocuter ou d’effrayer votre chien. Entretemps, malheureusement, il semble que vous puissiez faire comme bon vous semble.
Si toutefois les preuves vous ont ouvert les yeux et qu’en plus vous ne retirez aucun plaisir à voir votre chien se recroqueviller de peur ni ne voyez cette méthode comme triste, mais nécessaire, alors la suite vous intéressera. Voici la réalité : vous faites du mal à votre chien sans même améliorer son intelligence morale, ce que vous visiez au départ. C’est une illusion. Ne pensez surtout pas que votre chien vous en remerciera un jour. Il ne fera jamais la bonne chose parce que c’est la bonne chose à faire. Il fera ce que vous lui dites de faire pour que vous arrêtiez de lui faire peur.
Sur Google, vous trouverez une panacée de recherches exhaustives transculturelles sur l’« évolution du désir de punir les transgresseurs sociaux », qui traitent de notre motivation profonde de veiller à la droiture morale chez les autres membres de la société. Cela touche un vaste éventail de choses, des systèmes juridiques à l’éducation des enfants. Cependant, un chien n’est pas un humain. Il n’a pas la capacité de discerner le bien du mal que nous aimerions tant lui apprendre. Par contre, comme il peut distinguer ce qui est sécuritaire de ce qui est dangereux, nous concluons que nous avons réussi à améliorer sa boussole morale en l’empêchant de faire ce qui nous embête grâce à l’intimidation que nous lui infligeons, et non pas des gâteries. Mais ne soyez pas dupe. Ce n’est pas la droiture morale ni votre approbation qui motive votre chien. Ce sont les cris, les coups, les coups de pied, les colliers étrangleurs, à pics et électriques qui lui font faire ce que vous lui demandez. Si vous voyiez un gardien de zoo s’en prendre ainsi à un animal, vous appelleriez la police.
Les entraîneurs canins louches savent que voulez que votre chien soit moralement docile. Ils exploiteront ce désir et vous feront croire que ces méthodes ne lui font aucun mal ni ne lui font peur. Selon eux, la peur, c’est le respect. Ils vous diront que les gâteries corrompront votre chien. Si vous y croyez aveuglément, vous finirez par accorder plus d’importance à la soi-disant amélioration morale de votre chien qu’à votre chien lui-même.
L’erreur de confondre l’éducation des enfants à celle des chiens est très compréhensible. Notre chien fait partie de la famille, alors nous sommes très tentés de suivre notre instinct moral. Je cède maintenant la place à deux de mes collègues qui ont partagé avec moi leurs points de vue quant à ce phénomène lors d’une récente discussion.
L’experte en entraînement Ann-Marie Brady Levine résume bien cette erreur : (traduction libre)
« Dans le cas d’un enfant, nous lui apprenons les comportements appropriés pour notre espèce. Toutefois, dans le cas d’un chien, nous exigeons souvent de lui qu’il n’adopte pas les comportements pourtant appropriés pour son espèce. Nous lui demandons d’exécuter quelque chose qui ne correspond pas à son comportement programmé naturellement. Et pour qu’il y arrive, il nous faut souvent le récompenser. Tout comme vous le feriez si vous demandiez à votre tout-petit de marcher sur les mains au lieu des pieds. Les mots encouragement ne vaudraient pas grand-chose, surtout sur une route de gravier. »
La vétérinaire Dawn Crandell explique comment les objectifs des chiens et des humains diffèrent : (traduction libre)
« La récompense d’un enfant qui se comporte bien socialement est sociale : il se fait des amis, les gens sont gentils avec lui et le tiennent en haute estime. N’importe quel humain comprend et valorise cela. Cependant, les chiens ne saisissent pas toutes les subtilités des interactions sociales humaines et le fait de penser ou de suggérer que c’est le cas, c’est tout simplement faire preuve d’anthropomorphisme. »
Translation by Academy grad, Claudine Prud’homme, of The Learned Dog.